J.O. Numéro 35 du 11 Février 1998
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Texte paru au JORF/LD page 02187
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Décision no 97-2209 du 6 février 1998
NOR : CSCX9802609S
Le Conseil constitutionnel,
Vu la requête présentée par M. Daniel Colin, demeurant à La Valette-du-Var (Var), enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 11 juin 1997, et tendant à l'annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé les 25 mai et 1er juin 1997 dans la 1re circonscription du département du Var pour la désignation d'un député à l'Assemblée nationale, ensemble sa demande d'audition ;
Vu les observations présentées par le ministre de l'intérieur enregistrées comme ci-dessus les 16 juin et 14 novembre 1997 ;
Vu le mémoire en défense présenté par M. Jean-Marie Le Chevallier, député, enregistré comme ci-dessus le 9 juillet 1997, et notamment sa demande d'audition ;
Vu la décision du 21 octobre 1997 de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, enregistrée comme ci-dessus le 27 octobre 1997, approuvant le compte de campagne de M. Le Chevallier ;
Vu le mémoire en réplique présenté par M. Colin, enregistré comme ci-dessus le 24 novembre 1997 ;
Vu les observations présentées par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, enregistrées comme ci-dessus le 23 décembre 1997 ;
Vu les observations complémentaires présentées par M. Colin, enregistrées comme ci-dessus les 13 janvier et 4 février 1998 ;
Vu les observations complémentaires présentées par M. Le Chevallier, enregistrées comme ci-dessus les 19 janvier et 4 février 1998 ;
Vu les nouvelles observations présentées par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, enregistrées comme ci-dessus le 27 janvier 1998 ;
Vu la Constitution, notamment son article 59 ;
Vu l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code électoral ;
Vu le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l'élection des députés et des sénateurs ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Considérant qu'aux termes de l'article 33 de l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « L'élection d'un député peut être contestée devant le Conseil constitutionnel dans les dix jours qui suivent la proclamation des résultats du scrutin » ; que la proclamation des résultats du scrutin des 25 mai et 1er juin 1997, pour l'élection d'un député à l'Assemblée nationale dans la 1re circonscription du Var, a été faite le 2 juin 1997 ; que la requête de M. Colin, enregistrée au greffe du Conseil constitutionnel le 11 juin 1997, est recevable ;
Considérant que le moyen tiré de l'irrégularité du financement de la campagne électorale de M. Le Chevallier a été soulevé par M. Colin dans le délai fixé par l'article 33 précité de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ; qu'il est recevable à préciser ultérieurement la portée de ce moyen ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 52-4 du code électoral : « Pendant l'année précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où l'élection a été acquise, un candidat à cette élection ne peut recueillir des fonds en vue du financement de sa campagne que par l'intermédiaire d'un mandataire nommément désigné par lui, qui est soit une association de financement électorale, soit une personne physique dénommée le "mandataire financier" (...). Lorsque le candidat a décidé de recourir à une association de financement électorale ou à un mandataire financier, il ne peut régler les dépenses occasionnées par sa campagne électorale que par leur intermédiaire, à l'exception du cautionnement éventuel et des dépenses prises en charge par un parti ou groupement politique » ; qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 52-8 du même code : « Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués » ; qu'aux termes de l'article L. 52-11 du même code : « Pour les élections auxquelles l'article L. 52-4 est applicable, il est institué un plafond des dépenses électorales, autres que les dépenses de propagande directement prises en charge par l'Etat, exposées par chaque candidat ou chaque liste de candidats, ou pour leur compte au cours de la période mentionnée au même article ... Le plafond des dépenses pour l'élection des députés est de 250 000 F par candidat. Il est majoré de 1 F par habitant de la circonscription » ; qu'aux termes de l'article L. 52-12 du même code : « Chaque candidat soumis au plafonnement prévu à l'article L. 52-11 est tenu d'établir un compte de campagne retraçant, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses effectuées en vue de l'élection, hors celle de la campagne officielle, par lui-même ou pour son compte, au cours de la période mentionnée à l'article L. 52-4. Sont réputées faites pour son compte les dépenses exposées directement au profit du candidat et avec l'accord de celui-ci par les personnes physiques qui lui apportent leur soutien, ainsi que par les partis et groupements politiques qui ont été créés en vue de lui apporter leur soutien ou qui lui apportent leur soutien. Le candidat estime et inclut, en recettes et en dépenses, les avantages directs ou indirects, les prestations de services et dons en nature dont il a bénéficié » ; qu'aux termes du second alinéa de l'article LO 128 du même code : « Est également inéligible pendant un an celui qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits par l'article L. 52-12 et celui dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit. Peut également être déclaré inéligible, pour la même durée, celui qui a dépassé le plafond des dépenses électorales tel qu'il résulte de l'article L. 52-11 » ;
Considérant, en premier lieu, que M. Le Chevallier a déclaré avoir pris en charge directement et non par l'intermédiaire de son mandataire 161 696 F de dépenses exposées pour sa campagne électorale ; que, si le candidat peut, pour des raisons pratiques, régler directement certaines dépenses, cet usage ne peut être toléré que si ces dépenses restent d'un montant modeste ; qu'au contraire M. Le Chevallier a réglé directement 60 % du total des dépenses inscrites dans son compte de campagne ; que, dès lors, cette prise en charge directe méconnaît les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 52-4 du code électoral ;
Considérant, en deuxième lieu, que M. Le Chevallier a bénéficié pour sa campagne de prestations servies par le « Centre de gestion des campagnes du Front national », comprenant la fourniture de dépliants, affiches, autocollants, vidéocassettes, livres programmes personnalisés de 64 pages en quadrichromie et facturées de façon forfaitaire pour un montant de 92 005 F ; que ces prestations ont fait l'objet d'une lettre de change signée par M. Le Chevallier le 24 avril 1997, d'une commande établie le 28 avril 1997 et d'une facture du 17 juin 1997 pour un montant égal, au franc près, à celui de la lettre de change du 24 avril, alors que les prestations facturées sont différentes de celles prévues dans la commande ; que, dans ces conditions, ce système de facturation ne permet au juge de l'élection ni de déterminer la réalité des prestations fournies et des avantages obtenus par le candidat, ni de vérifier que le plafond des dépenses dans la circonscription a été effectivement respecté ; qu'il ressort, en outre, des pièces du dossier que certains des instruments de propagande reçus du « Centre de gestion des campagnes du Front national » et diffusés par M. Le Chevallier, en particulier des vidéocassettes, ne figurent pas dans la facture du 17 juin 1997 ; que, dès lors, le compte de campagne de M. Le Chevallier ne retrace pas l'ensemble des dépenses engagées pour son élection et méconnaît les dispositions de l'article L. 52-12 du code électoral ;
Considérant, en troisième lieu, que la revue bimensuelle Le Toulonnais, bulletin municipal de la ville de Toulon, dont M. Le Chevallier est maire depuis 1995, a publié le 20 mai 1997, soit cinq jours avant le premier tour de scrutin, son numéro 26 dont 7 des 16 pages, y compris la page de couverture, sous la mention « un rapport accablant », reproduisent des extraits de rapports de la chambre régionale des comptes sur la gestion de la commune de Toulon et de la « société d'économie mixte d'aménagement et de développement du centre-ville » au cours de la période 1988-1994 ; que cette publication par un bulletin municipal, qui a relayé un des thèmes essentiels de la campagne de M. Le Chevallier contre M. Colin, doit être regardée comme un instrument de propagande électorale au profit de M. Le Chevallier ; qu'il y a lieu d'évaluer l'avantage ainsi consenti par la commune de Toulon au candidat à la moitié de son montant, eu égard à la circonstance que cette commune est partagée en deux circonscriptions électorales ; que le montant de ces sept pages, établi selon les informations relatives au prix du bulletin municipal fournies par M. Le Chevallier, est égal à 26 088 F ; que cet avantage doit, eu égard à sa nature, à son montant et aux conditions dans lesquelles il a été obtenu, entraîner le rejet du compte de campagne de M. Le Chevallier ;
Considérant qu'il résulte de chacun des trois motifs ci-dessus rappelés, sans qu'il soit besoin de procéder aux auditions demandées, que M. Colin est fondé à soutenir que le compte de campagne de M. Le Chevallier doit être rejeté ; qu'il y a lieu en conséquence pour le Conseil constitutionnel de constater l'inéligibilité de M. Le Chevallier pour une durée d'un an à compter de la présente décision et d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées dans la 1re circonscription du département du Var,
Décide :
AN, VAR (1re CIRCONSCRIPTION)
M. DANIEL COLIN
Art. 1er. - M. Jean-Marie Le Chevallier est déclaré inéligible pour une durée d'un an à compter du 6 février 1998, date de la présente décision.
Art. 2. - Les opérations électorales qui se sont déroulées dans la 1re circonscription du département du Var les 25 mai et 1er juin 1997 sont annulées.
Art. 3. - La présente décision sera notifiée à l'Assemblée nationale, à M. Jean-Marie Le Chevallier, au président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 février 1998, où siégeaient : MM. Roland Dumas, président, Georges Abadie, Michel Ameller, Jean Cabannes, Maurice Faure, Yves Guéna, Alain Lancelot, Mme Noëlle Lenoir et M. Jacques Robert.
Le président,
Roland Dumas